Le royaume des disparus
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Je me suis assise pour écrire. L'obscurité recouvre les montagnes depuis longtemps. Les voilà si différentes de ces plantureuses, vertes et accueillantes, qui ondulaient tantôt sous le soleil encore chaud de l'été finissant. Je préfère ces royaumes sombres, qui s'étirent comme des toiles de Friedrich à la beauté obscure et dans lesquelles on brûle de pénétrer ou de disparaître. J'ai laissé la télé allumée dans l'autre pièce, est-ce dans le secret espoir de voir ces voix inconnues, lointaines et engourdies, briser mon angoisse ou ma solitude ? Des nuits à ne pas dormir, prisonnière de ce serrement ténu qui glisse comme une ombre entre la nuit et la tiédeur de ma peau. Des nuits à attendre sans toujours savoir ou plutôt sans ne jamais savoir ce qu'il convient d'attendre. Il y a cette odeur de pêche écrasée qui sort de la cuisine et que j'aime. "La nuit avait une odeur de pêche écrasée..." C'est un beau début de roman. J'écoute une danse slave de Dvorak, la plus mélancolique, je m'en abreuve comme d'une drogue à farder le réel.
Ce n'est pas une heure pour écrire, c'est une heure pour s'enfouir. Je suis née pour m'enfouir, faute de savoir m'enfuir. La nuit avait une odeur de pêche écrasée...
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