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La valse des petits riens
14 septembre 2008

Eperdument

Consigne 26 des défis.

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Ils m’ont souvent demandé, avec cet air subtilement condescendant, si j’en rêvais aussi la nuit. Je levais les épaules en souriant gentiment…ça ou autre chose je leur répondais.

A quoi bon tenter de leur expliquer : je n’en rêvais pas la nuit, elle était mes nuits.

C’est dans mes rêves d’enfant que je l’ai vue pour la première fois. Elle n’était ni aussi belle, ni aussi aboutie qu’elle l’est maintenant, mais elle avait déjà cette fragilité, cette façon de braver les équilibres naturels, comme suspendue entre terre et nuages.

Ce n’est que plusieurs années après, alors que nous prenions nos premières vacances à la mer, que je l’ai, à la chaleur moite du sable se courbant sous mes doigts, délivrée de son carcan chimérique. Du sable, elle avait bien sûr la beauté instable et passagère, mais elle prenait néanmoins corps avec une intensité étourdissante.

A cette époque, mon père déjà, se moquait des ébauches, des croquis et maquettes qui encombraient ma chambre. Or, je n’étais pas de ces adolescents qui s’affirment, j’étais de ceux qui emprisonnent leurs rêves et qui suivent le droit chemin pointé par leurs aînés sans autres discussions.

C’est devenu comptable chez maître Chifrellan, comme l’avait, en son temps, été mon géniteur, que l’irréfragable envie de poser la première pierre de ce rêve se dessina à nouveau. L’ennui de mes journées passées entre passifs et chiffres noirs ? La fadeur du mur de la cour qui constituait notre seule échappée vers l’extérieur ? Je ne sais ce qui m’y décida, mais je pris, dès lors, l’habitude de consacrer mes poses à l’élaboration des épures et dessins qui, le soir même, guidaient mes mains.

Je ne faisais guère attention aux rires nerveux de mes compagnons, aux gloussements et autres mimiques bouffonnes qui cimentaient leur misérable cohésion à me croire fou ou au mieux farfelu. Tout mon intérêt était dirigé à son endroit. J’élaborais la conception de mon ouvrage, j’organisais le déroulement de mes nuits, entre sommeil, déplacement de matières et érection.

Pourquoi la nuit ?

Mais…Ce qui se jouait en secret au fond de mes vergers, en lisière de bois, dépassait les limites de l’imagination dont mes concitoyens étaient capables. Et puis, je la voulais pour moi, pour moi seul.

Vous dire à quel point j’ai aimé reposer de tout mon long sur sa peau granuleuse, parcourir de mes mains abîmées ses ogives charnues, brûlantes du soleil de midi, bercer mon regard de l’ombre que faisait la lune sur ses courtines fuselées, les mots me manqueraient.

Je l’ai espérée comme on espère un amour unique, et, au soir de ma vie, si je vous écris à vous, qui un jour nous découvrirez, elle et moi, c’est pour que vous compreniez que nul ne doit jamais nous séparer.

Elle

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Commentaires
K
La tartine... Oui, la photo est une partie du palais idéal du facteur.<br /> http://www.facteurcheval.com/video.html<br /> <br /> C'est drôle car je n'ai finalement pensé à lui qu'en toute fin de l'écriture de ce texte...Même si inconsciemment il planait sûrement sur mes mots depuis le départ.
L
Très beau texte et magnifique hommage à la folie du facteur (c'est bien lui?)
A
Magnifique...et je dirais presque, comme d'habitude ! Je t'envie d'arriver ainsi à écrire, si bien. Mon encre sèche, est-ce irrémédiable ? Bravo Kloelle !!
C
Ah je ne connaissais pas ce personnage. Mais j'aime ce genre d'obsession ; peut être parce que je n'en suis pas capable mais cela doit tenir une vie debout, non?
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