La madeleine de Papistache
Deux notes
Papa arrivait, lancé sur son vélo à la couleur indéfinissable. On soupçonnait qu’il avait pu être bleu ou vert. Son pied gauche partait à la rencontre du pied droit en traçant dans l’air une courbe qui survolait élégamment la roue arrière.
Papa sautait en pleine course, pieds joints, sur le trottoir, ses deux mains serrées sur les poignées de freins.
Midi trente. A l’approche du numéro 17 de la rue du Bout-Aux-Bouseux, il actionnait l’avertisseur de sa bicyclette. On disait la sonnette de son vélo. Puis, pour confirmer son arrivée, juste avant d’entamer son effet acrobatique, il doublait le son de la sonnette d’un sifflet aigu. Deux notes.
— Maman ! Papa a fait “fifut” !
Maman pouvait servir le déjeuner. Dans trente minutes Papa repartirait. Huit kilomètres, de nouveau, pour pointer à l’usine. Il aurait pu manger sur place. Son “fifut” aurait été perdu.
Le même “fifut” que les ouvriers du bâtiment lançaient aux jolies filles qui longeaient les échafaudages. Maman, la première, en nous conduisant à l’école maternelle.
— Maman, papa a fait “fifut” !
— Non, ce n’est pas papa !
Epouse-Resplendissante à son tour, sifflée par de gouailleurs peintres en bâtiment.
— Papa ?
La vue des ouvriers du bâtiment baisse, Epouse-Toujours-Séduisante n’entre plus dans leur champ de vision. Au bras de mes filles, peu souvent, mais c’est vraiment que la crainte de respirer de l’amiante sèche le gosier de la profession.
— “Fifut !”
Papa, cheveux noirs et drus, élève gracieusement la jambe et retombe, leste, face au portail. Maman peut servir le déjeuner ! Dans une demi-heure, le vélo — vert ou bleu — repartira, qu’il vente ou qu’il pleuve.
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Image d'un film de Jacques Tati