La madeleine de Papistache
Pas de livre dans ma première enfance — pour la seconde, merci, ça va bien — ; la première bibliothèque de classe — fermée à clef, sauf le samedi après-midi — seulement à partir du CM1 !
Alors mes premiers émois, je les dois aux manuels scolaires. D’ailleurs, au panthéon de mes livres de cœur figurent nombre de ces ouvrages : « Poètes et prosateurs » en classe de 4e ! ! !
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Pour ses illustrations, gravées à jamais sur ma rétine — la palette des Fauves ! (mais je l’ignorais alors)— rouge, noir, jaune, orange, blanc, bleu, vert : « Poucet et son ami »
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Cependant, les émotions fortes, les sentiments d’injustice, la révolte, l’effroi, la compassion, l’empathie, la colère, l’admiration, le dégoût, la tristesse, c’est à un autre manuel que je les dois.
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Sept ans. CE2. Elève appliqué et craintif, je reçois le manuel qui m’habitera toute ma vie et je ne le sais pas encore.
Les folies humaines, les cruautés, les actes de bravoure, la générosité me sautent à la face.
L’évêque de Laon ! La hache suspendue au-dessus de sa gorge tendue. Et Vercingétorix !
« Jules César donne l’ordre de l’enchaîner et l’emmène prisonnier à Rome, où il le fait égorger six ans plus tard. »
Toutes les pages, je les ai relues puis relues. Le grand Ferré, Bernard Palissy, Jeanne d’Arc, Bayard et Bara.
Bara ! […] crie « Vive la République ! » et meurt percé de coups.
Et « pendant que le peuple meurt de faim, les incroyables et les merveilleuses ne s’occupent que de leurs plaisirs » sans oublier que « toute sa vie, Vincent de Paul secourt les malheureux. » et « L’expédition commandée par Magellan met trois ans pour faire le premier tour du monde ! »
Un livre d’histoire écrit au présent. Le présent des historiens, je l’apprendrai plus tard.
En allant à l’école, en revenant, sur le trajet, je suis Bayard ou Napoléon sur le pont d’Arcole. Je sauve Jeanne d’Arc, je console madame Palissy, et la mère du petit Joseph Meister. Je sens la baïonnette des chouans s’enfoncer entre mes omoplates. Aujourd’hui encore, je la sens.
Je suis ce gamin qui prend une taloche en 1848 dans une filature où je travaille douze heures par jour pour quelques sous. La main de Charlemagne se pose sur MON épaule.
« Autrefois, quand ils [votre papa et votre maman] étaient petits, ils étaient moins gâtés que vous, ils avaient moins de jouets. Les automobiles étaient moins belles. Il y avait moins d’avions dans le ciel et… pas de T.S.F. »
Mme Personne, MM. Ballot et Marc, je vous adresse mes plus vifs remerciements ainsi qu’au délicat travail de l’illustrateur Georges Garbaye. Maintenant, je puis le faire. Autrefois, j’ignorais même qu’il se trouvait quelqu’un à l’origine d’un livre. Le Livre existait, c’était tout, c’était bien.