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La valse des petits riens
26 juin 2008

La cour

Elle a neuf ans et dans cette cour d'école aux limites trop franches elle fait semblant de s'intéresser aux pétales d'une marguerite pour se donner une contenance. Elle n'aime pas les récréations, en classe elle a une place, sa place, ici elle tourne sans but en tentant maladroitement d'échapper aux regards piquants du groupe des filles qui rient. Faut il être habillée de ce pantalon moulant à la mode en faux cuir noir et s'amuser à imiter les acteurs d'un film en vogue pour être heureuse ? Elle n'envie ni le pantalon, ni les chorégraphies animées, mais il lui semble qu'elle pourrait donner sa vie pour être une fois, une seule fois, une fille populaire. Elle pense à Jane Eyre qu'elle a lu et relu des dizaines de fois car c'est un des seuls livres qu'elle possède "pour de vrai", elle se dit qu'elle est une sorte de Jane Eyre et ça l'aide à vivre, à ne pas pleurer. Ses amies sont les personnages des livres qu'elle dévore, calée entre le meuble en formica et le lit blanc de sa chambre. Ils lui apprennent l'essentiel et l'illusoire pour la remercier de les laisser vivre en dehors de leurs pages, dans ces rêves éveillés qu'elle enfante sur les murs un peu jaunes. Dans la cour, il lui arrive de penser à eux, à la manière dont ils occuperaient l'espace. Les filles rient toujours. Elle est sûre qu'à l'intérieur d'un roman, Antonia vers qui tous les regards convergent, Antonia avec ses grands cheveux bruns et ses sourires blessants serait une superbe héroïne. Nicolas le fils de la maîtresse ne s'y trompe pas et c'est autour d'elle qu'il organise ses galanteries. Elle aime le regarder. Il n'y a jamais beaucoup de soleil dans cette petite cour ou peut être est-ce la façade de l'école qui ombre le sol. Finalement elle est contente de pouvoir effeuiller sa marguerite, l'hiver elle compte les secondes pour que la récréation passe plus vite, c'est moins prenant.  Parfois il y a aussi cette petite fille aux yeux bridés parlant mal le français qui s'avance vers elle, elles s'affranchissent des mots. Une corde à sauter ou un cerceau de couleur pour mêler deux solitudes. Un couple désaccordé et pourtant, en fragile accord de vie. La cloche a sonné, elle retourne en classe, elle va s'y ennuyer et glisser longuement vers des ailleurs plus onctueux, mais elle a une place, sa place.

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Commentaires
L
Je me souviens d'une petite fille blonde aussi, qui n'a jamais appris à jouer et qui ne savait que lire. Je n'ai jamais su jouer à la poupée, et je n'ai pas la nostalgie de l'enfance, si ce n'est un souvenir glacé, des regards désaprobateurs, tes mains malsaines, alors maintenant je recrée l'enfant qui aurait dû être en moi alors, et l'imaginaire que j'ai développé à ce moment là, m'a permis de tout reconstruire.<br /> Chat l'heureusement<br /> Joëlle
E
J'aime la mélancolie qui se dégage de cette histoire si bien rendue par une écriture légère. Mais les commentaires aussi sont intéressants car on y découvre que nous sommes nombreux à nous sentir différents. Peut-être parce que nous sommes nombreux ici a être d'assidus lecteurs. Dans tous ces livres que nous lisons n'est-ce pas, au fond, simplement une sensibilité proche de la nôtre que nous cherchons?
T
J'aime beaucoup la réunion des solitudes de ce deux petites filles. C'est tellement vrai aussi! Le sentiment de la différence se passe bien souvent de commentaires. <br /> J'observe silencieusement cette solitude chez certains de mes élèves mais au fond, parfois les plus seuls ne sont pas ceux que l'on croit. <br /> Encore une fois la retenue du ton que tu adoptes me bouleverse.<br /> Bon week-end :)
S
Tu ne triches pas, Kloelle, et ta réponse est bien tournée, en plus. Tu as raison, nous cherchons toujours une place. Il y a très longtemps, j'ai entendu une interview de Brel dans laquelle il disait (je retranscirt ce que j'ai retenu, donc ce ne sont pas ses paroles exactes, mais l'idée y est) : "Nous passons notre vie d'adulte à poursuivre nos rêves d'enfant".
W
J'ai déjà répondu à une question similaire, Kloelle : mon épouse et moi-même appelons (gentiment) entre nous Amélie "La folle" depuis que nous l'avons, dans une interview, entendu déclarer que si elle n'écrivait pas chaque jour, elle le deviendrait.
La valse des petits riens
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